L’élection de Dieu et la foi de l’homme

L’Ecriture confesse l’omniscience et la toute-puissance de Dieu, qui connaît donc à l’avance qui sont ceux qui croiront en Jésus-Christ pour recevoir le salut acquis par sa mort sur la Croix. Mais les « saints » croient-ils parce que Dieu les a choisis, ou Dieu les a-t-il choisis parce qu’ils croiraient ? Nous examinons les deux solutions traditionnelles au problème de l’élection, et proposons une alternative biblique et théologique qui veut faire justice à la foi et à la raison.

1.Le problème de l’élection

1.1.Les données théologiques et l’énoncé du problème

L’élection divine (du verbe « élire », signifiant ici simplement « choisir ») est l’acte par lequel Dieu a choisi avant que le monde existe quels seraient les hommes qui hériteraient du salut et du monde à venir.
Cet acte d’élection de Dieu est rapporté clairement en plusieurs lieux de l’Ecriture, comme par exemple dans l’épître de Paul aux Ephésiens (1,3-14, voir après) ou encore dans la première épître de Pierre :

Pierre, apôtre de Jésus-Christ, à ceux qui sont étrangers et dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie, et qui sont élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, afin qu’ils deviennent obéissants, et qu’ils participent à l’aspersion du sang de Jésus-Christ: que la grâce et la paix vous soient multipliées!

Première épître de Pierre, Chapitre 1, versets 1-2

« L’aspersion du sang de Jésus-Christ » fait peut-être référence au récit de l’Exode (Chapitre 12) où les israélites devaient asperger du sang d’un agneau sur les poteaux et linteaux de leurs portes, afin d’être protégés du « destructeur », l’ange envoyé par Dieu pour administrer son jugement sur l’Egypte. La suite du texte (les versets 3 à 9) montre en effet que ces « élus » auxquels l’apôtre s’adresse, sont « gardés par la foi, par la puissance de Dieu, pour le salut prêt à être révélé dans les derniers temps » (v4), car ils « obtiendront le salut de leurs âmes pour prix de leur foi » (v9).

Ainsi, le principe du salut chrétien par la foi n’est pas ici nié au profit de l’élection, mais au contraire affirmé également avec force et sans équivoque au verset 9. Toutefois, l’élection divine y est articulée à la foi humaine par la mention de la « puissance de Dieu », qui garde elle-même les élus en vue du salut futur, au moyen de la foi.
Ceux qui prennent dans la foi ces textes au sérieux n’auront pas manqué d’identifier ici un antagonisme autant existentiel que théorique, que nous appellerons le problème de l’élection, et qui constitue l’impossibilité apparente de concilier deux affirmations bien établies :

  1. Chaque homme est libre et responsable de se tourner vers Dieu, c’est-à-dire de croire en lui, pour son salut
  2. Dieu a choisi souverainement dès avant tous les temps quels sont ceux hériteraient de ce salut.

1.2.Deux tentatives classiques de résolution

Ce problème est parfois reformulé, notamment dans l’héritage de la tradition réformée, comme l’alternative suivante : l’homme qui croit en Dieu pour son salut croit-il parce que Dieu l’a choisi d’avance, ou bien Dieu l’a-t-il choisi d’avance parce qu’il a cru ? Dans le premier cas, l’élection de Dieu est la cause du choix de l’homme, dans le second c’est le choix humaine qui est la cause de l’élection divine.
Le problème surgit de manière aigüe dans cette tradition lorsque Jean Calvin fait de l’élection divine la cause du choix de l’homme pour son salut, ou de son rejet pour sa réprobation, autrement dit l’origine d’une double prédestination, ce qui pour certains constitue une extrapolation scandaleuse des déclarations de l’Ecriture.

Or, même si Calvin ne parle pas de cette causalité entre le choix de Dieu et celui de l’homme comme d’un déterminisme (Aristote distinguait déjà quatre types de causalité, repris dans la classification de la scolastique médiévale que connaissait le réformateur de Genèse), son approche semble toutefois y confiner, et notamment lorsqu’il traite du péché originel, rendant en quelque sorte impossible l’obéissance d’Adam en Eden à cause du décret éternel de Dieu (même si le terme de « décret » est sans doute anachronique).

C’est pourquoi, schématiquement on appelle « calviniste » la solution qui consiste à affirmer que l’homme croit en Dieu parce que Dieu l’a choisi pour le salut et lui donne de croire (on parle d’élection « inconditionnelle »), tandis qu’on appelle « arminienne », du nom du théologien (réformé!) Jacob Arminius, la solution qui consiste à affirmer que Dieu a choisi l’homme pour le salut en fonction de la foi que ce dernier placerait en lui, et qu’il a connue d’avance (on parle d’élection « conditionnelle »).
Ces deux postures sont sans doute caricaturales, vis-à-vis des deux personnages auxquels elles se réfèrent, et qui font d’ailleurs partie de la même tradition. Ceci étant dit, elles présentent toutes deux des éléments de force indéniable vis-à-vis de l’Ecriture et de la raison, mais aussi des fragilités sous ces deux rapports, qui les disqualifient comme solutions véritablement convaincantes.

2.Examen schématique des solutions traditionnelles

2.1.Le calvinisme historique

Ces deux types de solutions sont d’accord sur une des modalités de l’élection : il s’agit de la prescience divine, qu’on peut définir comme la puissance selon laquelle Dieu connaît à l’avance tout ce qui doit advenir avant que cela ne se produise. En effet, calvinistes et arminiens admettent en général que l’élection de Dieu est éternelle, c’est-à-dire qu’elle a eu lieu avant « avant que le monde existe », même si c’est dans un sens analogique puisque le temps que nous expérimentons n’existe que dans l’univers créé. Il est en effet difficile de contourner cette affirmation biblique, que nous avons trouvé explicitement en 1 Pierre 1,1 (« […] et qui sont élus selon la prescience de Dieu […] », 1 Pierre 1,1). Ce sont la signification de cette prescience, et les modalités de son intégration à l’élection divine qui diffèrent, le « selon » étant interprété différemment dans les deux cas.

Dans la solution « calviniste », on considère en général qu’il est illicite de faire dériver l’élection divine du choix de l’homme : la prescience de Dieu ne signifie donc pas seulement que Dieu aurait su à l’avance le choix que l’homme aurait fait, mais qu’il aurait intégré ce choix dans son dessein exhaustif pour le monde. Calvin considérait que Dieu connaissait le monde au sens où il en avait décrété à l’avance tous les événements, qui se produisent ainsi conformément à sa volonté. Cette compréhension de la prescience et de la toute-puissance divine trouve des appuis certains dans l’Ecriture; on pense d’abord au texte de l’épître aux Romains qui présente, parmi autres, le salut de l’homme comme l’oeuvre exclusive de Dieu, du début jusqu’à la fin :

Nous savons, du reste, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein. Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre plusieurs frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.

Epître aux Romains, Chapitre 8, versets 28-30

Dans ce texte, la participation même de l’homme paraît exclue, ou plutôt mise entre parenthèses, et la prescience de Dieu la cause ultime de tous les aspects et toutes les étapes du salut. On pense également à la première épître aux Ephésiens, dans un contexte où l’apôtre parle de l’élection avec un langage similaire :

En lui nous sommes aussi devenus héritiers, ayant été prédestinés suivant la résolution de celui qui opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté, afin que nous servions à la louange de sa gloire, nous qui d’avance avons espéré en Christ.

Epître aux Ephésiens, Chapitre 1, verset 11-12

Dans cet extrait, la prédestination des saints, c’est-à-dire des croyants véritables, est une conséquence de l’élection divine, et est établie selon la résolution de Dieu, lequel « opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté ». Autrement dit, tout ce qui advient (ces « toutes choses » que « Dieu opère ») reflète la seule décision de Dieu (le « conseil de sa volonté »). L’apôtre le dit autrement dans les Romains, où il prétend que rien ne procède, ultimement, d’un autre que Dieu :

O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles! Car qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller? Qui lui a donné le premier, pour qu’il ait à recevoir en retour? C’est de lui, par lui, et pour lui que sont toutes choses. A lui la gloire dans tous les siècles! Amen!

Epître aux Romains, Chapitre 11, versets 33-36

Ainsi le calvinisme traditionnel, dans son exigence de fidélité à l’Ecriture, maintient avec force la toute-puissance de Dieu, au point d’inclure, Bible à l’appui, tout ce qui advient – et donc aussi la conversion de l’individu – dans le dessein total de Dieu, et ne peut donc concevoir comment l’élection divine pourrait dépendre d’une décision libre de l’homme fini, sans nuire à l’indépendance, et donc à la liberté, de Dieu lui-même. Pour le dire avec les mots de Cornelius Van Til, l’arminianisme rend Dieu « dépendant de l’homme », ce qui est une impossibilité métaphysique : nous devons donc considérer maintenant cette autre position.

2.2.L’arminianisme contemporain

Arminius était un homme d’église de la tradition calviniste, et a développé une théologie alternative de l’élection et de la prédestination. « L’arminianisme » désigne le courant théologique qui se fait l’héritier de sa pensée sur ce point, au point sans doute de la déformer de manière caricaturale chez ses disciples, comme le calvinisme est souvent une déformation de la pensée de Calvin. Ceux qui se disent arminiens insistent sur le libre arbitre de l’homme : ils considèrent qu’il est impensable que Dieu puisse déterminer ses choix, au point où la liberté de ceux-ci permettent à l’individu de s’auto-déterminer devant le Créateur. Les expressions populaires « l’homme n’est pas un robot » ou « l’homme n’est pas une marionnette » sont souvent employées, et un argument solide est fréquemment employé à ce propos au sujet du salut, qui s’appuie par exemple sur un texte comme la première épître de Paul à Timothée :

J’exhorte donc, avant toutes choses, à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. Cela est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous […].

Première épître de Paul à Timothée, Chapitre 2, versets 1-6

Dans cet extrait, la volonté expresse de Dieu en faveur du salut de tous les hommes – sans exception semble-t-il – paraît énoncée avec force. Ceci pose donc apparemment deux problèmes à la doctrine calviniste de l’élection divine :

  1. Si Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, mais que tous ne le sont pas, alors quelque chose peut s’opposer à la volonté de Dieu, lequel n’est donc pas tout-puissant
  2. Si Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, alors il n’a pas pu en sélectionner seulement certains pour en rejeter d’autres.

Le premier problème se heurte à l’Ecriture elle-même : la notion d’élection, qu’il s’agisse de la réalité ou du terme, y est indiscutablement présente, et il faut donc trouver une autre explication au rejet de la volonté expresse du Dieu sauveur de tous les hommes. Une solution consiste à observer que les verbes utilisés ici, et dans un texte similaire comme la 2nde épître de Pierre, possèdent toutes les nuances possibles du « vouloir » français :

Mais il est une chose, bien-aimés, que vous ne devez pas ignorer, c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance.

Seconde épître de Pierre, Chapitre 3, versets 8-9

Ainsi, et pour synthétiser les deux textes, si Dieu veut que tous les hommes parviennent à la repentance et à la connaissance de la vérité, afin que tous soient sauvés et qu’aucun ne périsse (éternellement), cela peut bien avoir la valeur d’un souhait, d’une disposition divine : la liberté de l’homme fait le reste, qui choisit d’accepter ou non le salut proposé par Dieu. De cette manière, on sauvegarde l’idée de toute-puissance divine – difficile à nier à cause de l’Ecriture, jusque même dans les actes des créatures rationnelles – tout en maintenant l’affirmation d’une authentique volonté divine que tous les hommes accèdent au salut.

Mais ceux qui se prétendent arminiens ont tendance à accentuer cet aspect de la question au point de rejeter pourtant la souveraineté divine, au moins la portée exhaustive de celle-ci, qui paraît toujours, même si on interprète la « volonté » ici comme un « désir », s’opposer à la liberté de l’homme. Le décret de Dieu n’interviendrait que dans certains cas bien particuliers, beaucoup d’événements étant plutôt une conséquence de la liberté des choix des hommes, sans contrôle de la part de Dieu. Et ainsi, vis-à-vis du second problème, la solution arminienne consiste également à nier l’élection divine comme déterminant le choix de l’homme, mais plutôt à l’affirmer, s’il faut, comme déterminée par celui-ci. Autrement dit, la prescience divine, relative à l’élection, consisterait plutôt en ce que Dieu connaît à l’avance les choix que feront les hommes, et qu’il a décidé de choisir d’avance pour le salut tous ceux qui, en principe, se tourneront ou se tourneraient vers Jésus-Christ.

Cette solution présente une certaine élégance, et trouve un certain écho dans la raison : d’une part elle laisse la possibilité à chaque homme d’accéder librement au salut et donc de se conformer à la volonté de Dieu, que tous soient sauvés, d’autre part elle ne fait plus du choix de l’homme une conséquence déterministe d’une élection divine qui paraît arbitraire. Pourquoi alors rejeter la toute-puissance divine ?

3.Vers une solution biblique et théologique

3.1.Conjoindre la souveraineté de Dieu et la liberté de l’homme

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