Le salut chrétien : une espérance dynamique de la foi

Introduction

On entend parfois les chrétiens discuter entre eux de la question suivante : peut-on perdre son salut ? Certains affirment que oui, d’autres que non, ils parlent parfois de choses différentes, et la question du salut étant indissociable de celle de la destinée éternelle de l’homme, il est crucial de trouver des réponses solides et certaines à ce sujet, fondées sur des concepts clairs et une exégèse saine de l’Ecriture. En suivant cette ligne, nous aboutissons ici à la conclusion que la question n’a aucun sens, et qu’il faut la réinterpréter pour y répondre.

1.Le salut approprié au moyen de la foi

La notion de « salut », substantif de la même racine que le verbe « sauver » (en français comme en grec), est bien attestée dans le Nouveau Testament. Un des textes les plus explicites à ce sujet se trouve dans l’épître de Paul aux Ephésiens :

4 Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, 5 nous qui étions morts par nos offenses, nous a rendus à la vie avec Christ (c’est par grâce que vous êtes sauvés); 6 il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus Christ, 7 afin de montrer dans les siècles à venir l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus Christ. 8 Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu.

Epître de Paul aux Ephésiens, Chapitre 2, versets 4 à 8

Les deux mentions de l’expression « vous êtes sauvés » sont identiques (ἐστε σεσῳσμένοι), le terme σεσῳσμένοι (« sauvés ») étant un participe parfait (passif) indiquant d’une part qu’il s’agit de quelque chose d’accompli, d’autre part que cela n’est pas réalisé par celui qui est sauvé. Dans le contexte, l’apôtre Paul le rattache explicitement (au v.5) à la résurrection « spirituelle » par laquelle les « saints et fidèles » (auxquels il s’adresse ici au Chapitre 1, verset 1) sont « rendus à la vie » avec le Christ, ce qui nous paraît correspondre à la réalité de la nouvelle naissance évoquée en Jean 3 (voir Que signifie « naître de nouveau » ?).

Remarquons d’abord que l’apôtre Paul parle ici du salut comme de quelque chose d’accompli, ce qu’il faut associer à deux éléments. Le premier, c’est qu’il s’adresse à « ceux qui sont saints et fidèles en Jésus-Christ » (Ephésiens 1,1) : il ne s’adresse donc pas à tous ceux qui font profession d’être chrétiens, mais à ceux qui sont effectivement des saints, et qui sont fidèles (c’est-à-dire, qui sont « dans la foi », les deux mots ayant la même racine). Le second, c’est que dans le contexte du Chapitre 2, l’apôtre insiste sur l’idée que la nouvelle vie accordée au chrétien est le fait de Dieu seul, l’homme ne se l’appropriant que par la foi comme moyen : l’accent étant mis ici sur l’origine divine de cette vie, le salut peut être considéré comme accompli au passif, précisément parce qu’il n’est pas l’oeuvre de l’homme qui le reçoit.

Remarquons ensuite que le moyen de ce salut, c’est la foi : c’est précisément ainsi qu’il distingue les saints et fidèles à qui il écrit. Et si les hommes peuvent être sauvés par la foi, encore faut-il comprendre de quoi ils devraient être sauvés.

2.Le salut comme délivrance à venir

On entend souvent l’idée schématique mais incomplète et secondaire, que l’homme est sauvé des ses péchés. Or, c’est dans son épître aux Romains que le même apôtre Paul développe l’élément qui associe la foi d’un côté, de l’autre le salut de l’homme, à travers la notion de justification (voir Le salut dans l’épître aux Romains) : Dieu déclare (plutôt qu’il ne rend) l’homme juste sur la base de sa foi, à cause des mérites du Christ. En explicitant ainsi les raisons pour lesquelles l’homme obtient le salut par la foi, il définit de quoi l’homme est sauvé alors qu’il est justifié :

6 Car, lorsque nous étions encore sans force, Christ, au temps marqué, est mort pour des impies. 7 A peine mourrait-on pour un juste; quelqu’un peut-être mourrait-il pour un homme de bien. 8 Mais Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. 9 A plus forte raison donc, maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. 10 Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie.

Epître aux Romains, Chapitre 5, versets 6 à 10

La justification gratuite de l’homme par le moyen de la foi lui permet ainsi d’être sauvé de la colère divine. En effet, cette colère, c’est-à-dire la rétribution divine qui doit venir sur le monde, est « révélée du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la vérité captive » (Romains 1,18). Ainsi l’apôtre reproche à tout homme impénitent (refusant de se repentir pour se tourner vers Dieu) d’amasser un « trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres » (Romains 2,6). C’est ici le fondement de l’exposé de Paul sur la justification, par laquelle l’homme peut échapper à cette colère, être sauvé de sa colère (Romains 5,10) : Dieu lui-même est celui qui peut le sauver de sa propre rétribution envers le monde. Nous lisons ici d’ailleurs que ce salut est annoncé comme au futur : justifiés au présent, « serons-nous sauvés par lui de la colère ». L’expression grecque utilisée est le même verbe que celui utilisé en Ephésiens 2,4-8 (σῴζω, section précédente), conjugué cette fois-ci au futur passif : si le passif souligne que c’est toujours Dieu qui sauvera le pécheur justifié, le futur fait écho au motif du salut, puisque c’est d’un événement à venir qu’il faut être sauvé. En ce sens, le salut n’est donc pas encore acquis, puisque la délivrance doit encore advenir.

3.Déjà sauvés et pas encore

C’est sans doute la raison pour laquelle l’apôtre précise ultérieurement dans le même écrit, au sujet de la délivrance cosmique, que le chrétien ne possède le salut qu’en espérance :

22 Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. 23 Et ce n’est pas elle seulement; mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. 24 Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance: ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore? 25 Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.

Epître aux Romains, Chapitre 8, versets 22 à 25

Paul insiste ici sans ambiguïté sur ce que l’espérance chrétienne n’est pas encore présente, sinon ce ne serait pas une espérance, que nous devons par définition attendre; or, il fait de ceci une application au salut, qui étant acquis en espérance, n’est pas encore advenu, puisqu’il sera manifesté avec le jour du jugement de Dieu. Ce renvoi du salut chrétien, comme espérance, à un événement à venir, pourrait sembler contradictoire avec le salut accompli (au parfait) en Ephésiens 2,5-8 (cf infra). Soit l’apôtre parle de deux choses différentes, associées de manière connexe, soit il parle de la même chose. Nous optons ici pour la seconde possibilité, et pour deux raisons :

  1. Le salut chrétien est un thème central de la doctrine de l’apôtre Paul, et il paraît discutable que dans un texte où il en expose les conditions et raisons profondes (l’épître aux Romains), il en adopte une conception secondaire, tandis qu’il met en avant la même condition de salut que dans l’épître aux Ephésiens, c’est-à-dire la foi
  2. Le verbe utilisé en Romains 8,24 est au présent (et aussi au passif) : bien que la nuance avec le parfait d’Ephésiens 2,5-8 pourrait être celle d’un salut « dynamique » (par contraste avec un salut considéré comme accompli en principe), l’indication que le salut est « en espérance » semble plutôt souligner une convergence des deux points de vue : en principe, le salut est un acquis présent, mais en réalité c’est quelque chose qui demeure dans le registre de l’espérance.

Il est ainsi possible pour l’apôtre Paul de parler d’un salut au présent, tout en considérant qu’il est une réalité à venir : cette dialectique entre ce qui est « déjà là » et « pas encore là », concept qu’il faut semble-t-il attribuer au théologien Oscar Cullman, parcourt tout le Nouveau Testament et est devenu un lieu commun de la théologie protestante. Il n’y a donc pas de contradiction entre l’idée d’un salut acquis en principe et celui d’un salut à venir, mais l’objet même du salut, la délivrance de la colère de Dieu, étant à venir, il n’est possible de dire le chrétien « sauvé » que par anticipation. Il nous faut donc examiner à quelle condition le salut qui doit venir peut être considéré par le chrétien comme acquis, ce qui nous ramène à son moyen, c’est-à-dire la foi.

4.La foi comme condition et la participation de l’homme

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