Justice et justification : le salut dans l’épître aux Romains

Faut-il « être chrétien » pour être « sauvé » ? Si on se réfère aux textes bibliques, il nous semble que non. Autrement dit, que l’enseignement de l’Ecriture sur le salut, fait de la foi en Jésus-Christ une condition suffisante, mais non pas nécessaire du salut. Nous proposons ici une conception créative, peut-être inédite, qui a l’ambition de faire justice aux Ecritures et à la raison, et d’articuler la question de la justification gratuite et de la justice de l’homme.

1. Le salut chrétien : délivrance de la colère divine

Lorsqu’on parle de « salut » dans un contexte chrétien, on fait référence à la délivrance que selon le Nouveau Testament, l’homme peut obtenir par la foi en Jésus-Christ, essentiellement délivrance d’un jugement de Dieu à venir, et qui procède d’une réconciliation avec Dieu. On lit par exemple dans l’épître aux Romains, au Chapitre 5 :

Dieu prouve son amour envers nous en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. A plus forte raison donc, maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie.

Epître aux Romains, Chapitre 5, verset 8-10

Ce thème de la « colère » de Dieu, anthropomorphisme qui dénote l’antagonisme de la divinité vis-à-vis des hommes irréligieux, est bien développé dans toute la Bible et notamment dans cette épître aux Romains. Nous allons donc continuer à interroger ce texte, qui nous paraît fournir les meilleurs éléments au sujet de la question complexe du salut chrétien.

1.1. Le principe du salut chrétien par la foi

Le principe de « l’Evangile » ou « bonne nouvelle » est énoncé par l’apôtre Paul au Chapitre 1 :

Je n’ai point honte de l’Evangile, c’est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec, parce qu’en lui est révélée la justice de Dieu par la foi et pour la foi, selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi.

Epître aux Romains, Chapitre 1, versets 16-17

Faisons quelques remarques simples à propos de cette déclaration apostolique :

  • L’évangile est une puissance de Dieu : il n’y a donc pas ici d’article défini, qui ferait de sa proclamation le seul moyen ou le moyen nécessaire de rédemption pour tous les hommes
  • En l’évangile est révélée la « justice de Dieu »; cette justice est exposée plus avant dans la suite du texte, et notamment au Chapitre 3, versets 23 à 26, où est énoncé le principe d’une justification gratuite par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient
  • Cette justice a donc trait à la justification de l’homme, c’est-à-dire au pardon, à la rémission de ses péchés, et elle s’obtient par la foi, plutôt que par « les oeuvres », c’est-à-dire les efforts de l’homme pour paraître juste coram Deo (« devant Dieu »).

L’épître aux Romains traite donc de l’Evangile, et énonce le principe de la foi en Jésus-Christ comme condition suffisante du salut de l’homme. Nous devons examiner le caractère nécessaire de cette foi, et de son objet en vue de l’obtention du salut.

1.2. La « religion naturelle » universelle

Or, on trouve dans le même texte des affirmations qui contredisent le caractère nécessaire de cette condition, sous l’angle du sujet qu’on appelle classiquement religio naturalis (la religion naturelle). Cette question était connue dans l’ancienne orthodoxie luthérienne et a été longuement analysée et débattue, jusqu’à la période des Lumières semble-t-il où certains déistes l’ont reprise à leur compte; c’est du moins ce qu’en dit Wolfhart Pannenberg dans sa Théologie systématique, et la théorie du « bon sauvage » de Jean-Jacques Rousseau lui fait écho.

Les fondements d’une telle religion naturelle se trouvent dans les Chapitres 1 et 2 de la même épître aux Romains. Il s’agit tout d’abord du principe d’une révélation universelle (de nature intuitive et non verbale), que Dieu adresse à tous les hommes, comme on lit par exemple au Chapitre 1 :

La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la vérité captive, car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître. En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’oeil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages […]

Epître aux Romains, Chapitre 1, versets 18-20

Le texte introduit en fait le sujet par rapport à une réaction négative à cette révélation, où au verset 18 l’apôtre nous semble considérer qu’on peut en connaître le contenu (la « vérité ») mais le refouler ou le rejeter injustement (la « retenir captive »), ce qui se manifesterait par des actes d’impiété et d’injustice.

2. Principes d’une religion naturelle

La même idée est reprise au Chapitre 2, lorsque l’apôtre énonce le principe général du jugement de Dieu, réservant aux uns son antagonisme (sa « colère ») et aux autres sa faveur :

Mais, par ton endurcissement et par ton coeur impénitent, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres : réservant la vie éternelle à ceux qui, par la persévérance à bien faire, cherchent l’honneur, la gloire et l’immortalité; mais l’irritation et la colère à ceux qui, par esprit de dispute, sont rebelles à la vérité et obéissent à l’injustice.

Epître aux Romains, Chapitre 2, versets 5-8

Ici, un autre principe que celui de l’Evangile est énoncé : Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres, ce qu’il ne faut pas confondre avec une fausse justification par les oeuvres. Autrement dit, l’apôtre prétend que le (juste !) jugement de Dieu sera conforme à la voie que les hommes auront suivi.

Or, seules deux possibilités sont ici mentionnées : soit l’endurcissement face à la connaissance de la nature de Dieu et de sa bonté, qui est donnée universellement par révélation, soit la persévérance à bien faire qui se manifeste par la recherche de « l’honneur, la gloire et l’immortalité ».

Ici est donc synthétisé et affirmé le principe d’une « religion naturelle« , et ce sans référence aucune à la foi en Jésus-Christ, et donc au fait « d’être chrétien » : la divinité se révélant de manière universelle à la conscience de l’homme, celui-ci peut soit rejeter cette révélation pour poursuivre une vie injuste, soit poursuivre une vie bonne, ce qui dénote implicitement une réception de cette révélation.

3. Justification et justice

3.1. La foi comme principe universel de justification

Bienvenue sur Le Logos et la Croix ! Pour lire les articles en intégralité, merci de vous connecter. Si ce n'est déjà fait, vous pouvez vous inscrire librement ici.

0 commentaires

Soumettre un commentaire