Une approche théiste du problème de l’Être

Si l’on considère le problème de l’Être comme la question de savoir s’il est fondamentalement Un ou Multiple, alors le Parménide, dialogue de Platon, semble répondre par l’indécidable. D’après le théologien Cornelius Van Til, on aboutit à cette conclusion si l’on ne distingue pas entre des catégories éternelles ou infinies, et des catégories temporelles ou finies. C’est précisément ce à quoi invite le théisme chrétien, qui découvre dans la doctrine de la Trinité ontologique l’Un et le Multiple comme également ultimes. La distinction la plus radicale de l’Être devrait donc être cherchée plutôt dans la dualité entre l’Infini et le Fini, laquelle réapparaît étrangement dans la théorie des ensembles, fondement cantorien de la mathématique et dialectique de l’Un et du Multiple.

1.Le problème ontologique de l’Un et du Multiple

1.1.Multiplicités et Formes dans le « Parménide » de Platon

Lorsque l’on parle « d’univers », on dénote à la fois l’unité de toutes choses et leur diversité ou multiplicité. Dès l’Antiquité, au-delà de l’univers on se posait la question de penser l’Être, et on sait qu’à l’époque de Socrate sa conception enveloppait déjà des difficultés et des paradoxes insurmontables. Le « Parménide » est l’un des dialogues les plus complexes et énigmatiques écrits par Platon, et met entre autres en scène le philosophe du même nom et Socrate; il explore en profondeur les idées sur la nature de l’existence, la théorie des Formes (ou Idées) et diverses méthodes dialectiques.

Le dialogue commence avec une rencontre entre le jeune Socrate, Zénon et Parménide. Zénon présente d’abord ses arguments contre les pluralistes, qui croient qu’il existe une multiplicité de choses réelles, puis Socrate propose sa théorie des Formes, qui soutient qu’il y a des réalités immuables et éternelles (les Formes) qui sont plus réelles que les objets sensibles de notre expérience, lesquelles « participent » à ces Formes. Parménide soulève plusieurs objections à la théorie des Formes, et la deuxième partie du dialogue consiste en une série d’exercices dialectiques menés par le maître, qui explorent notamment différentes hypothèses concernant l’existence ou la non-existence des Formes.

1.2.Le Problème de l’Être : est-il Un ou Multiple ?

Le « Parménide » aborde ainsi la question de l’Être sous l’angle de l’Un et du Multiple, à travers cette série d’exercices dialectiques. L’objet de ceux-ci est d’examiner les conséquences logiques de différentes hypothèses concernant l’existence de l’Un comme Forme; Parménide et Zénon mettent alors en lumière les paradoxes qui peuvent surgir lorsqu’on tente de conceptualiser l’Être en termes d’unité ou de multiplicité. Ces paradoxes sont illustrés par une série de déductions qui montrent que, quelle que soit l’hypothèse que l’on adopte (que l’Un est ou n’est pas, que l’Être est multiple ou non), on se retrouve confronté à des contradictions et à des impasses logiques.

Le dialogue ne fournit ainsi pas de réponse définitive à ces problèmes, mais il illustre la difficulté inhérente à la conceptualisation de l’Être, que ce soit en termes d’unité ou de multiplicité. Cette discussion est souvent considérée comme une critique ou une évaluation des limites de la théorie des Formes de Platon elle-même, mais la conclusion que nous voulons en tirer ici en suivant Parménide, c’est que la question de savoir si l’Être est Un ou Multiple est indécidable. Les paradoxes soulevés par le philosophe nous interrogent sur la capacité de la rationalité humaine à saisir pleinement la nature de l’Être, et le théologien Cornelius Van Til propose de dépasser ces limites en introduisant une distinction ontologique entre des catégories « éternelles » et des catégories « temporelles » (les catégories sont les dimensions de l’être).

2.La solution théiste de Van Til au problème de l’Être

2.1.Interpréter la réalité à travers des présupposés de nature biblique

Cornelius Van Til, théologien réformé américain d’origine hollandaise, a fondé une école d’apologétique (branche de la théologie qui se consacre à la défense de la foi chrétienne) qu’on appelle aujourd’hui « présuppositionnelle » ou « présuppositionnaliste ». Sa méthode, radicale, se distingue en ce qu’il se propose d’établir que toutes les philosophies non chrétiennes sont, à la base, incohérentes ou irrationnelles, et que seule une vision du monde basée sur la Bible peut vraiment rendre compte de la réalité d’une manière cohérente ou rationnelle.

En bon apologète, Van Til était versé dans la tradition philosophique, et en particulier celle de l’Antiquité grecque. A cet égard le problème de l’Un et du Multiple, tel qu’abordé dans le « Parménide », renvoie pour lui directement à la connaissance de Dieu. Sans nécessairement embrasser tous les aspects de sa démarche apologétique, dont certains sont intrinsèquement problématiques, nous pouvons toutefois suivre ici son idée d’aller chercher dans la théologie chrétienne les présupposés métaphysiques qui nous permettront d’en proposer sinon une résolution, du moins un déplacement.

2.2.Distinguer entre l’Un et le Multiple éternels et créés

Selon l’apologète presbytérien, Dieu, en tant qu’Être éternel et transcendant, est à la fois Un et Multiple. Il est Un en essence en ce qu’il est un seul Dieu personnel, mais Multiple en personnes en ce qu’il est éternellement une Tri-unité : le Père, le Fils, l’Esprit Saint. Cette nature trinitaire de Dieu lui permet d’être à la fois absolument unifié et diversifié et c’est une « solution » au problème de l’Un et du Multiple qui est, selon lui, unique au christianisme. Ajoutons que pour Van Til, en Dieu ni l’unité ni la pluralité n’est en elle-même ultime, au sens où l’une dériverait de l’autre : ainsi l’impossibilité parménidienne de décider de si l’Être doit être conçu fondamentalement comme Un, ou fondamentalement comme Multiple, demeure. Le problème a donc plus été déplacé que résolu : pour Van Til, Parménide erre en ce qu’il pose la question de l’Être « en général », et sans distinguer Dieu qui possède l’être en lui-même de la création dont l’être dérive de Dieu. Cette dualité de l’Un et du Multiple renvoie ainsi au Dieu trinitaire qui se révèle dans la Bible.

La création, en tant que réalité dérivée et contingente, reflète alors cette dualité. Elle est multiple dans ses innombrables manifestations, mais elle possède une unité sous-jacente en ce qu’elle dérive de l’acte créatif et providentiel d’un seul Dieu : nous y retrouvons l’idée composite « d’univers », mais réinterprétée à la lumière du théisme chrétien. Il n’est donc pas étonnant que l’approche formelle et indifférenciée exposée dans le « Parménide » ne parvienne pas à résoudre le problème de l’Être. Van Til soutient que seuls les présupposés bibliques permettent une cohérence rationnelle entre l’unité et la diversité et que sans ces présupposés, la philosophie tombe dans l’incohérence, comme le démontre, selon lui, ce dialogue de Platon. Et ceci nous amène pourtant à considérer la prise en charge « cantorienne » de l’Un et du Multiple dans la théorie mathématique des ensembles, où nous retrouvons un écho du problème de l’Être, et de sa solution originale proposée par Van Til.

3.Echos mathématiques de la question de l’Un et du Multiple

3.1.L’ontologie mathématique de la théorie des ensembles

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