Un Dieu unique en trois personnes

La doctrine de la trinité ou tri-unité est emblématique de la théologie chrétienne, et fait partie des éléments de la tradition repris largement à la réformation protestante. Nous présentons ici des éléments bibliques, conceptuels et historiques permettant de reconstituer un exposé synthétique de cette pierre de touche du christianisme, en adoptant un point de vue « dynamique » qui fait la part belle à une théologie de l’Esprit.

Introduction : théologie trinitaire et christologie

Concevoir une tri-unité pour comprendre le Christ

Les chrétiens ont confessé assez tôt la divinité de Jésus-Christ, en reprenant notamment les affirmation de l’Ecriture qui font de lui le « Fils de Dieu ». L’une d’entre elles, fort célèbre, se trouve dans l’évangile selon Matthieu :

Jésus, étant arrivé dans le territoire de Césarée de Philippe, demande à ses disciples : Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? Ils répondirent : Les uns disent que tu es Jean-Baptiste; les autres, Elie; les autres, Jérémie, ou l’un des prophètes. Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus, reprenant la parole, lui dit : Tu es heureux, Simon, Fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux.

Evangile selon Matthieu, Chapitre 16, versets 13 à 17.

Ainsi, selon les dires mêmes du Christ, le confesser comme « Fils de Dieu » relève d’une réception de la révélation même de Dieu quant à son identité. Mais comment penser cette affirmation ? Comment Dieu, qui est « esprit », peut-il avoir un Fils ? Comme nous le verrons, la réponse consiste à attribuer avec l’évangile selon Jean la divinité à Jésus-Christ lui-même.

Or, pour donner un sens à cette divinité sans nuire à l’unicité et à l’identité du Dieu chrétien, et sans identifier Jésus-Christ à celui que l’Ecriture appelle le Père, les théologiens de l’antiquité ont inventé et développé le concept de « Trinité » ou « Tri-unité ». Cette idée, qui se résume succintement selon la formule « Dieu est Un et subsiste en Trois personnes », a en effet émergé initialement de considérations christologiques, c’est-à-dire ayant trait à la doctrine ou au dogme complexe du Christ (conciles de Nicée I, (où est affirmée la divinité du Fils) et de Chalcédoine (où est conceptualisée la double nature de Jésus-Christ)) . Il existe en effet dans l’Ecriture plusieurs assertions complémentaires et paradoxales sur le rapport de Jésus-Christ à Dieu, et grâce aux ressources de la philosophie antique, les anciens théologiens ont progressivement et péniblement élaboré leur compréhension de Dieu lui-même pour comprendre Jésus-Christ.

L’apport historique de la théologie ancienne et l’exégèse biblique

Nous qui regardons le passé du haut de vingt siècles de christianisme, nous sommes au bénéfice de cet effort antique, même si nous ne le savons pas ou ne le reconnaissons pas toujours. Si les éléments des doctrines trinitaire et christologique se trouvent dans l’Ecriture, il s’en faut toutefois de beaucoup que ces doctrines elles-mêmes y soient articulées, pour ne pas dire formulées, comme dans le reste de la tradition chrétienne, et dans la forme où nous les confessons actuellement. Nous pensons que cette œuvre antique a donc été éminemment et universellement profitable, et que nous pouvons en embrasser les principales conclusions pour confesser et penser la foi chrétienne encore aujourd’hui.

Nous commencerons par exposer la doctrine trinitaire classique, en montrant qu’elle est supportée par l’Ecriture, et en choisissant une conception dynamique plutôt que statique de la trinité, insistant sur les rapports vivants entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, grâce à des compléments qui relèvent d’une véritable théologie de la connaissance de Dieu. Nous présenterons des textes bibliques et historiques qui fondent la compréhension classique et le rapport entre théologie trinitaire et christologie : le texte biblique viendra avant la dogmatique ancienne, la théologie trinitaire avant la christologie propre et notamment la doctrine de l’Incarnation, que nous traiterons ultérieurement.

1. L’Un et le Multiple éternels

La théologie trinitaire s’interprète dans le contexte de la problématique antique de « l’Un et du Multiple », à savoir : qu’est-ce vient en premier, de l’Un ou du Multiple, autrement dit lequel procède de l’autre ? Cornelius Van Til répudiait la doctrine du philosophe grec Parménide (telle qu’exposée dans le discours de Platon portant ce nom), pour affirmer la « co-terminalité » de l’Un et du Multiple éternels en Dieu, ce qui est une réinterprétation audacieuse de la théologie trinitaire classique, et pour affirmer également la co-terminalité de l’Un et du Multiple créés.

1.1. La dualité Un-Multiple dans l’Ancien Testament

En introduisant le Dieu biblique comme créateur éternel de l’univers et de l’homme (voir Le Dieu créateur de l’univers), nous avons évoqué la distinction en Dieu d’une unité et d’une multiplicité fondamentales, reflétées notamment dans la création de l’homme (voir aussi L’homme, une créature de Dieu). Or, le récit de la création de l’homme n’est pas le seul lieu de l’Ancien Testament où cette « dualité » s’exprime. L’indice le plus clair de la multiplicité en Dieu se trouve peut-être dans les nombreuses mentions de « l’ange de l’Eternel », manifestation d’une personne à la fois distincte de Dieu et identifiée à Dieu lui-même. Cette entité intervient par exemple à plusieurs reprises dans la vie d’Abraham et des ses proches (notamment en Genèse 22,11 pour arrêter la main d’Abraham qui s’apprêtait à sacrifier son fils Isaac). Si l’expression désigne parfois un ange envoyé de l’Eternel, à d’autres reprises Dieu lui-même paraît être ainsi désigné. Par exemple, lorsque Dieu apparaît à Moïse dans le buisson ardent, c’est en tant que « l’ange de l’Eternel » :

Moïse faisait paître le troupeau de Jéthro, son beau-père, sacrificateur de Madian; et il mena le troupeau derrière le désert, et vint à la montagne de Dieu, à Horeb. L’ange de l’Eternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson. Moïse regarda; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait point. Moïse dit : Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume point. L’Eternel vit qu’il se détournait pour voir; et Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit: Moïse ! Moïse ! Et il répondit: Me voici.

Exode, Chapitre 3, versets 1-4

L’apparition est celle de l’ange de l’Eternel, la voix est celle de Dieu lui-même : même si l’ange de l’Eternel et Dieu ne sont pas ici explicitement identifiés, comment ce que Moïse voit et ce qu’il entend ne correspondraient-ils pas ? Un autre texte de l’Ancien Testament est particulièrement explicite :

Puis vint l’ange de l’Eternel, et il s’assit sous le térébinthe d’Ophra, qui appartenait à Joas, de la famille d’Abiézer. Gédéon, son fils, battait du froment au pressoir, pour le mettre à l’abri de Madian. L’ange de l’Eternel lui apparut, et lui dit : L’Eternel est avec toi, vaillant héros ! Gédéon lui dit : Ah ! mon seigneur, si l’Eternel est avec nous, pourquoi toutes ces choses nous sont-elles arrivées ? Et où sont tous ces prodiges que nos pères nous racontent, quand ils crient : L’Eternel ne nous a-t-il pas fait monter hors d’Egypte ? Maintenant l’Eternel nous abandonne, et il nous livre entre les mains de Madian ! L’Eternel se tourna vers lui, et dit: Va avec cette force que tu as, et délivre Israël de la main de Madian; n’est-ce pas moi qui t’envoie ?

Juges, Chapitre 6, versets 11-14

A nouveau, l’ange de l’Eternel, qui s’adresse à Gédéon dans une apparition, est identifié à l’Eternel lui-même. Ainsi, les anciens Israélites étaient familiers de ce genre d’expression de la multiplicité intrinsèque à la divinité, suggérée dès le récit de la création, et déclinée dans ce type d’allusion.

1.2. La dualité Un-Multiple dans le Nouveau Testament

1.2.1. Le Logos

Cette dualité de l’Un et du Multiple en Dieu est reprise de manière plus claire et plus explicite dans le Nouveau Testament. Le texte fondamental que nous convoquons à cet égard se trouve au prologue de l’évangile selon Jean :

1 Au commencement était le Logos, et le Logos était avec Dieu, et le Logos était Dieu.
2 Il était au commencement avec Dieu.
3 Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui.

Evangile selon Jean, Chapitre 1, versets 1-3

Nous avons préféré traduire « ho logos » (grec ὁ λόγος) par « le Logos » plutôt que « la Parole », pour ne pas prendre d’option trop forte quand au sens à donner à ce mot, et parce que le « Logos » est un concept philosophique et théologique essentiel que nous voulons conserver et réinvestir. Le quatrième évangile s’ouvre sur une reprise chrétienne évidente du récit de la Genèse biblique : alors que Dieu a créé le monde par sa « parole » – expression de sa volonté – l’apôtre réinterprète cette tradition en faisant du « Logos » (verset 3) l’agent de la création, le vecteur de la parole divine. Ce faisant, il introduit un « moyen terme » entre Dieu et l’univers créé, ce Logos dont il nous précise à la fois aux versets 1 et 2 :

1) Qu’il « était avec Dieu » (ou « auprès de Dieu »), ce qui le distingue de Dieu en le situant par rapport à celui-ci, à l’aide d’un verbe à l’imparfait, qui exprime donc une continuité, ici un état permanent
2) Qu’il « était Dieu », avec une inversion de la syntaxe, littéralement « (c’est) Dieu (qu’)était le Logos », selon une construction qui place typiquement l’emphase sur l’attribut, ici « Dieu » , pour insister sur l’identité du Logos avec Dieu
3) Qu’il « était au commencement avec Dieu », et donc qu’il préexistait à la création de toutes choses, qui d’ailleurs ont été faites par lui (verset 3).

L’apôtre Jean nous présente ainsi Jésus-Christ à travers le Logos, agent de la création du monde et préexistant à toutes choses, assimilé à Dieu lui-même et pourtant distinct de lui. Dans ce schéma métaphysique, on a l’affirmation d’une contradiction apparente, ce qu’on appelle un paradoxe : si le Logos était auprès de Dieu, c’est qu’il était distinct de Dieu ; si le Logos était Dieu, c’est qu’il ne s’en distinguait pas. Comme pour tous les paradoxes, la résolution de celui-ci procède d’un approfondissement de la réflexion à propos des concepts impliqués, laquelle repose sur l’exégèse d’autres textes bibliques (dont plusieurs sont dans le même évangile) et sur la créativité philosophique (laquelle s’inscrit irrémédiablement en-dehors du texte biblique stricto sensu).

1.2.2. Le Père et le Fils

Si le prologue de l’Evangile selon Jean nous amène à distinguer paradoxalement « entre Dieu et Dieu » avec l’introduction du Logos, le même texte introduit un premier élément de solution au paradoxe soulevé, en distinguant en Dieu deux modalités distinctes :

14 […] Le Logos a été fait chair, et il a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.
15 Jean lui a rendu témoignage, et s’est écrié : C’est celui dont j’ai dit : Celui qui vient après moi m’a précédé, car il était avant moi.
16 Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce ;
17 car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
18 Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître.

Evangile selon Jean, Chapitre 1, versets 14-18

Ces paroles ineffables introduisent une transformation du langage utilisé : le « Logos », réalité métaphysique, agent de la création (et de la sustension, voir Colossiens 1,15-17 et Hébreux 1,1-4 par exemple) de l’univers, est « devenu » un homme (verset 14 : nous y reviendrons quand nous traiterons de l’Incarnation), lequel a manifesté la gloire du Fils unique venu du Père (ibid.). Cet homme est précisément Jésus-Christ (verset 17), qui a fait connaître Dieu, en tant que « Fils unique qui est dans le sein du Père ». C’est en distinguant en Dieu entre un Père et un Fils que le paradoxe doit être résolu : le Logos ou Fils « était » auprès de Dieu comme étant « dans le sein » du Père, il était lui-même Dieu comme étant son « Fils unique » qui est dans son sein. Autrement dit, Dieu est Père et possède un Fils en lui-même, qui est aussi Dieu.

Cette reformulation de la pensée johannique ne nous fournit toujours pas des concepts avec lesquels former une « théorie de Dieu ». Mais en assemblant divers éléments du texte, elle introduit l’idée qu’il existe en Dieu une « structure » complexe, laquelle permet de rendre compte des assertions sur le Logos, et qui nous est révélée ici pour nous puissions comprendre Jésus-Christ, et son rapport à Dieu et à nous-mêmes. Ici nous devrions, pour aller plus loin, introduire un concept pour penser cette « structure » de la divinité, et c’est le chemin qu’a suivie l’ancienne théologie conciliaire. En suivant pour l’instant le célèbre théologien suisse Karl Barth, nous pourrions nous contenter de parler de modalité : le Dieu biblique, qui est un, mais aussi connu comme mystérieusement multiple depuis le Livre de la Genèse, subsiste sous deux modalités distinctes, le Père et le Fils. La notion de modalité est pour l’instant convenable, puisqu’elle connote que le même Dieu est à la fois Père et Fils : le Logos ou Fils fait référence à une modalité de la même divinité, c’est pourquoi il peut être appelé Dieu, et situé lui-même auprès de Dieu, si celui-ci est compris cette fois-ci comme le Père.

1.2.3. L’Esprit Saint

Si le Père et le Fils sont conçus comme deux modalités du même Dieu, les mots choisis connotent et rappellent la personnalité de Dieu (voir le Dieu créateur de l’Univers), et notamment sa pensée et sa volonté. Or, le même évangile introduit une troisième modalité de la divinité en l’Esprit. Le mot signifie littéralement « souffle », et paraît donc renvoyer à un élément impersonnel, qui ne devrait donc a priori pas être considéré comme une modalité du Dieu personnel. Cependant, des attributs personnels lui sont attribués, comme par exemple au Chapitre 15 du même évangile :

13 Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir.
14 Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera.
15 Tout ce que le Père a est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera.

Evangile selon Jean, Chapitre 15, versets 13-15

Cela ne suffit pas pour affirmer que l’Esprit est une modalité selon laquelle Dieu subsiste au même titre que le Père et le Fils, mais cela suffit pour lui attribuer par analogie le même caractère personnel : on discerne ici en l’Esprit une intention, une volonté, une expression, une action centrée. L’identification de l’Esprit comme une troisième modalité en Dieu repose également sur d’autres textes fondamentaux, dont le principal, que nous trouvons dans la première épître de Paul aux Corinthiens, nous permet d’articuler les concepts distincts de Logos et de Fils :

9 […] Comme il est écrit, ce sont des choses que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point montées au coeur de l’homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment.
10 Dieu nous les a révélées par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu.
11 Lequel des hommes, en effet, connaît les choses de l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu.

1re Epître de Paul aux Corinthiens, Chapitre 2, versets 9-11

L’Esprit est ici pensé par l’apôtre Paul comme autonome, sondant tout ce qui est en Dieu, et révélant aux hommes ce qui relève de sa connaissance. Il est celui qui connaît Dieu dans « ses profondeurs », puisqu’il le « sonde », et n’est donc pas une simple « force » qui émane de Dieu : il peut donc être celui qui annonce ce qui est au Père, et donc au Christ, aux disciples (év. selon Jean 15,13-15, op. cit.).

Une représentation de la trinité chrétienne

2. Une conception dynamique de la Trinité

Pour parler de Dieu, on préfère parler de subsistance plutôt que d’existence : Dieu « subsiste » tel qu’il est, mais le terme « existence », même s’il convient dans son usage courant, renvoie étymologiquement à l’idée de « se situer hors de » : or Dieu ne se situe hors de rien, et même toutes choses « subsistent en lui » (Epître aux Colossiens, Chapitre 1, verset 17). Ainsi, si Dieu subsiste selon trois modalités, l’Esprit Saint – le mot « Esprit » signifiant « souffle », rappelons-le – renvoie à la dynamique propre de la vie infinie de Dieu, au point où le Christ peut caractériser l’essence même de Dieu comme « spirituelle » :

[Mais] l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père par l’esprit et en vérité; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent par l’esprit et en vérité.

Evangile selon Jean, Chapitre 4, verset 24

Or, l’essence de Dieu comme esprit fournit la clef d’une conception dynamique de l’être divin, articulant les concepts du Logos – comme expression de Dieu en lui-même – et du Fils – comme engendré de Dieu en lui-même. Pour prendre une image, Dieu est une source (le Père) dont le flot (l’Esprit) s’écoule en lui-même (le Fils).

2.1. La « prédécession » ontologique de Dieu comme Père

La source de la divinité est la personne du Père, c’est-à-dire Dieu, tel qu’il subsiste en lui-même dans le fondement de son être. Ceci établit non une hiérarchie, mais une « prédécession« , au sens où le Père vient avant le Fils et l’Esprit, non dans un sens chronologique, mais dans un sens ontologique (relatif à l’être). C’est peut-être la raison pour laquelle Dieu et le Père sont fréquemment identifiés dans le Nouveau Testament, dans le prologue de l’évangile selon Jean par exemple, où nous avons noté que si le Logos est le Fils, alors le Père est « Dieu » auprès duquel était le Logos au commencement (Jean 1,1, op. cit.). Ceci n’exclut pas la divinité pleine et entière du Fils et de l’Esprit, mais met l’accent sur l’identification du Père à l’être fondamental de Dieu, comme on le lit invariablement dans les adresses des épîtres pauliniennes, où le Fils est assimilé au Seigneur, ce qui n’enlève rien non plus à la « seigneurie » (c’est-à-dire la domination) du Père :

Paul, appelé à être apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, et le frère Sosthène, à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés en Jésus-Christ, appelés à être saints, et à tous ceux qui invoquent en quelque lieu que ce soit le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, leur Seigneur et le nôtre: que la grâce et la paix vous soient données de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ.

1re épître de Paul aux Corinthiens, Chapitre 1, verset 1-3

Le « Père » est certes ici « notre Père », et donc défini par rapport aux hommes; mais l’assimilation du chrétien à Jésus-Christ par l’adoption divine le place sur un plan analogue au Fils de Dieu par rapport à Dieu le Père. L’identification de Dieu au Père est d’ailleurs explicite dans la même épître, où nous lisons à propos des « idoles » :

[…] S’il est des êtres qui sont appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, comme il existe réellement plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes.

1re épître de Paul aux Corinthiens, Chapitre 8, versets 5-6

Ce texte magistral identifie bien Dieu et le Père, parmi toutes les « divinités », sans retirer à Jésus-Christ sa divinité, puisque c’est par lui que « sont toutes choses ».

2.2. Expression du Logos et engendrement du Fils

La distinction ontologique essentielle entre Dieu et l’univers, est que Dieu ne tire son être que de lui-même (il subsiste en et par lui-même), tandis que l’univers ou les créatures tirent leur être de Dieu (ils subsistent en lui et par lui). Les théologiens parlent d’aséité pour désigner cet attribut caractéristique de la divinité. Ainsi, Dieu n’a pas part à la création ou au devenir et il est donc immuable, mais sa subsistance éternelle en lui-même ne signifie pas que Dieu doive être conçu de manière « statique ». Comme nous l’avons souligné, en l’Esprit il y a un mouvement par lequel Dieu se connaît intégralement lui-même : nous affirmons que l’expression de cette connaissance de Dieu en Dieu est le Logos, et que ce mouvement est éternel, c’est-à-dire perpétuel, et constitue la vie même de Dieu. Le vocabulaire symbolique utilisé permet en effet de poser que comme le souffle porte la parole, l’Esprit porte le Logos, qui est donc le résultat de ce que l’Esprit produit en Dieu, la connaissance de Dieu par lui-même. En tant qu’expression de Dieu le Père en lui-même par le mouvement de l’Esprit, le Logos est donc aussi le Fils, ce que l’image de l’engendrement traduit d’une autre manière : le Fils est produit par la vie de l’Esprit en Dieu, il est donc engendré. Ainsi, en Dieu l’expression du Logos et l’engendrement du Fils ne sont qu’une et même chose, le résultat du « processus » que constitue en Dieu le mouvement de l’Esprit, par lequel il se connaît lui-même. La notion de connaissance en Dieu est donc fondamentale et constitutive même de son être. Le théologien Cornelius Van Til parlait aussi de co-terminalité (voir la section l’Un et le Multiple éternels) de l’être et de la connaissance en Dieu : l’être de Dieu et la connaissance qu’il possède de lui-même sont co-terminaux.

2.3. La vie de Dieu et les personnes de la Trinité

L’Esprit est ainsi Dieu tel qu’il subsiste dans le mouvement par lequel il se connaît et s’exprime lui-même intégralement en lui-même. Nous avons donc ici une conception dynamique de la Trinité, puisque les trois modalités ou personnes en lesquelles le même Dieu subsiste, sont structurellement liées par la vie divine, qui est un mouvement, et non une réalité statique. Selon cette conception, Dieu est le Père, le Fils est Dieu en ce qu’il « est devenu lui-même » et l’Esprit est Dieu en ce qu’il « devient lui-même », mais ces analogies doivent être comprises comme dénotant un processus à la fois éternel et éternellement achevé, constitutif de l’être de Dieu lui-même. Le caractère dynamique de la structure de l’être divin est d’ailleurs conforme à la théologie johannique qui fait de la « vie » un élément central de la divinité et de sa manifestation, comme on peut le lire dans l’Evangile selon Jean :

En lui [le Logos] était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue.

Evangile selon Jean, Chapitre 1, versets 4-5

et dans la première épître de Jean :

Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie – car la vie a été manifestée, et nous l’avons vue et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, – ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or, notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ.

Première épître de Jean, Chapitre 1, versets 1-3

3. Eléments d’histoire du dogme trinitaire

Bienvenue sur Le Logos et la Croix ! Pour lire les articles en intégralité, merci de vous connecter. Si ce n'est déjà fait, vous pouvez vous inscrire librement ici.

0 commentaires

Soumettre un commentaire