L’incarnation du Fils de Dieu dans la théologie trinitaire antique

D’où vient l’idée que Jésus est « l’incarnation de Dieu » ? Retour sur quelques éléments de théologie antique

Introduction

Lorsqu’on fréquente une église, de quelque confession qu’elle soit, on ne s’interroge pas souvent sur l’origine des affirmations que celle-ci professe et auxquelles on croit. Pourtant, les « dogmes » des églises chrétiennes ont une histoire complexe, alors même qu’on pense les trouver directement dans les Ecritures. C’est le cas de celui de l’incarnation du Fils de Dieu, selon lequel Jésus-Christ est Dieu lui-même fait homme, et dont nous voulons ici préciser la constitution historique et l’articulation au schéma de la doctrine trinitaire.

1.Le schéma de la doctrine du Christ dans les anciens conciles oecuméniques

La position « classique » sur l’identité de Jésus-Christ, celle qui ressort des conciles oecuméniques de Nicée, Constantinople, et Chalcédoine (rassemblements de l’église ancienne pour discuter de questions de théologie et de pratique), est que Jésus-Christ est l’incarnation de Dieu le Fils. Schématiquement, selon cette approche historique cela signifie que Dieu est un en nature ou en substance, mais subsiste en lui-même selon trois « modalités » (le terme est anachronique) distinctes ou personnes, le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, et Jésus-Christ est l’incarnation du Fils, donc de l’une de ces personnes, unissant ainsi en lui les deux natures divine et humaine. Ainsi, on aurait en Dieu une seule nature en trois personnes, en Jésus-Christ deux natures pour une seule personne.

2.L’engendrement et l’incarnation du Fils dans le symbole de Nicée-Constantinople

Expliquons un peu plus : le symbole de Nicée-Constantinople, formulé à l’occasion des conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381) dans le cadre de la controverse arienne (provoquée par le presbytre Arius), précise l’ancienne théologie sur le plan de la doctrine trinitaire en affirmant que Dieu subsiste en lui-même en trois personnes ou hypostases (terme grec du symbole) distinctes, le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Les trois « possèdent » pleinement la substance divine unique (d’où le terme « consubstantiel » appliqué au Fils), sans être confondues, et le Fils est engendré par le Père, ces considérations étant développées antérieurement à l’incarnation dans le symbole. Il faut donc distinguer entre engendrement et incarnation, le premier terme appartenant à la personne du Fils dans sa vie divine, le second terme désignant la venue du Fils en l’homme Jésus.

Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, Créateur de toutes choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, engendré du Père, c’est-à-dire, de la substance du Père. Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré et non fait, consubstantiel au Père ; par qui toutes choses ont été faites au ciel et en la terre. Qui, pour nous autres hommes et pour notre salut, est descendu des cieux, s’est incarné et s’est fait homme ; a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et viendra juger les vivants et les morts. Et au Saint-Esprit.

Ceux qui disent : il y a un temps où il n’était pas : avant de naître, il n’était pas ; il a été tiré du néant ; il est d’une substance (hypostasis), d’une essence (ousia) différente, il a été créé ; le Fils de Dieu est muable et sujet au changement, l’Église catholique et apostolique les anathématise.

Symbole de Nicée-Constantinople (Wikipedia, 29/01/2022)

3.Le symbole de Chalcédoine et la doctrine de « l’union hypostatique » : deux natures unies en une seule personne

Le symbole de Chalcédoine, formulé à l’occasion du concile de 451 dans le cadre de la controverse sur le monophysisme (affirmation d’une seule « nature » chez le Christ), précise l’ancienne théologie sur le plan de la christologie en clarifiant la notion « d’hypostase », qui avait généré beaucoup de confusion à cause de son affinité conceptuelle avec la notion de « substance » (problème absent de la notion latine de « personne »). L’hypostase chalcédonienne est désormais la « personne », distinguée de la « substance » divine. Le concile formule ainsi la doctrine de l’union hypostatique, selon laquelle en Jésus-Christ il y a union (sans confusion) des deux natures (ou substances) divine et humaine en une seule personne, le Fils, précisant ainsi la formulation de Nicée-Constantinople sur l’incarnation.

Suivant donc les saints Pères, nous enseignons tous unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous sauf le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité, un seul même Christ, Fils du Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des deux natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes, mais en un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ.

Symbole de Chalcédoine (Wikipedia, 29/01/2022)

Conclusion

Une grande majorité de confessions chrétiennes adoptent cette conception trinitaire de Dieu et de Jésus-Christ, dont l’incarnation est alors comprise comme l’assomption (du verbe « assumer »), par la personne du Fils de Dieu, de la nature humaine dans l’espace et dans le temps, sans perte de sa nature divine hors de l’espace et du temps.

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